jeudi 4 décembre 2008

lettre d'Ernéstine Chasseboeuf

Première lettre:
Deuxième lettre :
Extrait de La brouette et les deux orphelines. Correspondances sur le droit de prêt en bibliothèque, p. 42.
Ernestine Chasseboeuf
49320 Coutures
Le 24 mai an deux mille
À Monsieur Alain Decaux,
À une époque où il y a tant de chômage, c’est pas très normal de faire tant de métiers : la radio, la télé, les livres d’histoire, l’Académie française, et j’ai appris y a pas longtemps que les publicités et les ouatères payantes c’était Decaux aussi, faudrait peut-être laisser un peu de travail pour les autres, surtout les jeunes.
Ça m’étonnerait pas qu’elle soit de vous, l’idée de faire payer cent sous dans les bibliothèques. Quand on voit tout l’argent qu’on peut gagner avec les ouatères payantes, ça doit paraître bizarre qu’un autre besoin naturel comme la lecture continue à être gratuit.
Répondez-moi vite pour m’expliquer pourquoi vous avez lancé cette pétition, et tâchez de travailler un peu moins, à votre âge quand on en fait trop, c’est infarctus et compagnie.
Dans l’attente de votre réponse, j’espère que ma lettre vous trouvera de même.
Ernestine Chasseboeuf.
Deuxième lettre:
Ernestine Chassebœuf à Coutures, dans le Maine et Loire A Monsieur Lebrun au Pot-au-feu de France Culture
Monsieur Lebrun,
Vous avez annoncé que vous vouliez faire une émission sur la fête des mères abusives, pour une fois c'est un sujet où j'ai rien à dire et ça, c'est rare. En plus, à mon époque, avec les vaches à traire deux fois par jour et tous les gamins à torcher, je me demande bien quand on aurait trouvé le temps de les abuser.
La fête des mères, depuis l'époque du Maréchal on a bien essayé de me la fêter, mais vu la tête que je faisais en recevant les cadeaux, ils ont vite arrêté. Pourtant, je les aime bien, mes enfants. L'aîné, Lucien, il est venu parce qu'on s'était fréquentés trop dur avec mon fiancé, mais on s'est mariés pour régulariser. Louise, Emile et Zoé, on les a fait avec la méthode du curé de Botz-en-Mauges, une méthode en latin, le nom ça finit par interruptus. Il a jamais voulu croire que ça marchait pas, alors j'ai fait venir la méthode Ogino. J'avais vu la réclame dans Bonnes Soirées, mais comme le mode d'emploi c'était en japonais, j'ai dû mal m'y prendre et j'ai eu Jeanne, et ensuite les jumeaux. Après j'ai été veuve, alors ça m'a fait une pause. Mais quand j'ai rencontré Chassebœuf, et il a voulu concrétiser notre amour, comme il disait, alors on a laissé courir et on a eu Arsène, mais c'était que l'avant dernier. J'avais cru être débarrassée de tout ça, à mon âge, mais c'était une fausse alerte, on a encore eu la petite Julie, et puis après plus rien. C'est que dix ou quinze ans après qu'ils ont mis la pilule dans les pharmacies, alors pour moi c'était trop tard, mais je regrette rien.
Alors maintenant, vous pensez, quand j'ai mes petits-enfants qui m'apportent des colliers de nouilles pour la fête des grands-mères, je les remercie et tout, mais dès qu'ils sont partis, je mets tout ça à cuire, faut pas jouer avec la nourriture. C'est le chien qui les mange, à cause de la peinture dessus, et comme ils sont 37, mes petits-enfants, le chien il en a pour sa semaine, ça économise les boîtes.
Vous me direz si ça vous ennuie pas un peu, mes affaires de famille, et j'espère que ma lettre vous trouvera de même,
Ernestine Chassebœuf

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